« Apportez
des lunettes noires et de quoi vous boucher les oreilles. » Voici ce que l’on
pouvait lire sur l’affiche de Relâche
en 1924. Il faut dire que pour
l’époque, le ballet instantanéiste de Francis Picabia était novateur et
déroutant. La chorégraphie de Jean Börlin comportait des instants de pause,
durant lesquels les danseurs s’affairaient sans musique, s’asseyaient,
fumaient, se déshabillaient devant ce mur de lumière composé de centaines de réflecteurs
métalliques connectés à des ampoules électriques. La scénographie clinquante et
les costumes à paillettes satirisaient les Années folles. À l’entracte, était
diffusé un intermède cinématographique ; le bien nommé « Entr’acte » de René Clair. Dans ce
film, on retrouvait de nombreux acteurs du mouvement dadaïste : Man Ray et
Marcel Duchamp en joueurs d’échec, Inge Frïss en ballerine à barbe, Francis
Picabia et Erik Satie (à qui l’on doit la musique d’Entr’acte, mais aussi de Relâche)
en chargeurs de canon, Jean Börlin en chasseur et prestidigitateur et bien
d’autres en hommes poursuivant un corbillard attelé à un dromadaire. C’était la
première fois qu’il y avait une césure cinématographique dans un spectacle de
danse. Un instant d’onirisme foutraque que l’on pourra retrouver dans la reconstitution
de ce 24e et dernier ballet suédois par Petter Jacobsson et Thomas
Caley. Suite à de longues recherches, les chorégraphes sont parvenus à trouver
les matériaux nécessaires à cette reprise. Ainsi, 90 ans après la
création du ballet de Picabia, les danseurs du Ballet de Lorraine peuvent à
nouveau faire Relâche. Et comme
l’indiquait le tableau du second acte : « Si cela ne vous plaît pas, vous êtes libres
de foutre le camp ».
Relâche,
le 24 janvier 2015 au CCN - Ballet
de Lorraine, à Nancy
Texte Stéphanie Linsingh / Photos Laurent Philippe
À lire dans le magazine NOVO n°32